Page:Daudet - Jack, I.djvu/103

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Si l’on pouvait lui donner l’idée d’écrire… ? » pensait Moronval, et délicatement il essayait de lui insinuer qu’entre madame de Sévigné et George Sand, il y avait une belle place à prendre ; mais allez donc insinuer n’importe quoi et parler par allusions à un oiseau qui, tout le temps, fait de l’air autour de lui à force de secouer ses ailes !

« Elle n’est pas forte, la pauvre femme ! » disait-il après chacune de ces conversations, où l’un apportait toute sa fièvre et l’autre sa bavarde indifférence, lui, rongeant ses ongles avec fureur, elle, parlant, parlant, sans s’écouter elle-même, ni rien de ce qu’on lui disait.

Ce n’étaient pas des raisonnements qui pouvaient prendre un pareil cerveau d’alouette ; il fallait l’éblouir, et Moronval y réussit.

Un jour qu’Ida trônait dans le parloir, juchée sur tous ces titres, sur tous ces « de » qu’elle ajoutait à ses amis et connaissances comme pour mettre une rallonge à sa propre noblesse, madame Moronval-Decostère lui dit timidement :

— M. Moronval voudrait vous demander quelque chose, mais il n’ose pas…

— Oh ! dites, dites… fit la pauvre sotte avec un si vif désir d’obliger, que le directeur eut envie de lancer tout de suite sa demande de fonds pour la publication d’une Revue ; mais, très malin, très méfiant, il aima mieux agir prudemment, arriver petit à petit, « en