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demi-artistes, lui donnent en passant la poignée de main et le tutoiement. Peut-être y a-t-il dans tout cela un peu trop de familiarité, car le brave homme n’a pas encore compris le prestige et l’autorité de sa nouvelle position, et je connais quelqu’un qui trouve ce laisser-aller bien humiliant. Mais ce quelqu’un ne peut pas le voir en ce moment, et le patron en profite pour donner une vigoureuse accolade au vieux teneur de livres, Sigismond, qui sort le dernier de tous, roide, rouge, encaissé dans un grand col, et tête nue, quelque temps qu’il fasse, de peur des coups de sang.

Risler et lui sont compatriotes. Ils ont l’un pour l’autre une estime profonde qui date de leurs débuts à la fabrique, de l’époque lointaine où ils déjeunaient ensemble à la petite crémerie du coin, dans laquelle Sigismond Planus entre tout seul maintenant et se choisit un plat du jour sur l’ardoise pendue au mur…

Mais gare ! voici la voiture de Fromont jeune qui arrive sous le portail. Depuis le matin il est en courses ; et les deux associés, en s’avançant vers la maison coquette qu’ils habitent tout au fond du jardin, causent amicalement de leurs affaires.

– Je suis allé chez les Prochasson, dit Fromont jeune. Ils m’ont montré de nouveaux modèles, très jolis, ma foi !… Il faut, faire attention. Nous avons là des concurrents sérieux.

Risler n’est pas inquiet, lui. Il se sent fort de son talent, de son expérience ; et puis… mais ceci très confidentiel… il est sur la piste d’une invention merveilleuse,