Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/83

Cette page n’a pas encore été corrigée

amie comme celle-là. J’aurais trop de remords… Pauvre Désirée ! tu ne t’es donc pas aperçue comme elle a mauvaise mine depuis mon retour, comme elle me regarde d’un air suppliant… Non ! je ne lui ferai pas cette peine, je ne lui enlèverai pas son Frantz.

Tout en admirant le grand cœur de sa fille, madame Chèbe trouvait ce sacrifice exagéré, et faisait des objections :

– Prends garde, mon enfant, nous ne sommes pas riches… Un mari comme Frantz ne se trouve pas tous les jours.

– Tant pis ! je ne me marierai pas… déclara nettement Sidonie, et, trouvant son prétexte bon, elle s’y cramponna avec énergie. Rien ne put la faire changer d’idée, ni les larmes de Frantz, qu’exaspérait ce refus entouré de raisons vagues qu’on ne voulait pas même lui expliquer, ni les supplications de Risler, à qui madame Chèbe avait chuchoté dans le plus grand mystère les raisons de sa fille, et qui, malgré tout, ne pouvait se défendre d’admirer un pareil sacrifice.

– Ne l’accuse pas, va !… C’est un anche !… disait-il à son frère en essayant de le calmer.

« Oh ! oui, c’est un ange », appuyait madame Chèbe en soupirant, de sorte que le pauvre amoureux trahi n’avait pas même le droit de se plaindre. Désespéré, il se décida à quitter Paris, et, dans sa rage de fuir, la Grand’Combe lui semblant trop rapprochée, il sollicita et obtint une place de surveillant à Ismaïlia, aux travaux de l’isthme de Suez. Il partit sans avoir rien su ou rien voulu savoir de l’amour de Désirée ; et