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jeunes filles prirent leur ouvrage, Georges essaya de lire un journal, pendant que madame Fromont faisait luire ses bagues et que M. Gardinois, avec son gendre, jouait au billard dans la pièce à côté.

Comme cette soirée sembla longue à Sidonie. Elle n’avait qu’un désir, se retrouver seule, libre de ses pensées. Mais au silence de sa petite chambre, quand elle eut soufflé la lumière, qui gêne les songes en éclairant trop vivement la réalité, que de projets, quels transports de joie ! Georges l’aimait, Georges Fromont, l’héritier de la fabrique !… Ils se marieraient ; elle serait riche… Car, dans cette petite âme vénale, le premier baiser d’amour n’avait éveillé que des idées d’ambition et de luxe.

Pour bien s’assurer que son amant était sincère, elle cherchait à ressaisir les moindres détails de leur scène sous la charmille, l’expression de ses yeux, l’ardeur de son étreinte, les serments balbutiés bouche à bouche dans cette lumière vaporeuse des vers luisants qu’une minute solennelle avait à jamais fixée dans son cœur.

Oh ! les vers luisants de Savigny ! Toute la nuit, ils clignotèrent comme des étoiles devant ses yeux fermés. Le parc en était plein, jusqu’au fond de ses plus sombres avenues. Il y en avait des girandoles tout le long des pelouses, sur les arbres, dans les massifs… Le sable fin des allées, les vagues de la pièce d’eau roulaient des étincelles vertes, et toutes ces lueurs microscopiques faisaient comme une illumination de fête dont Savigny semblait s’envelopper