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exprès, très faciles à coiffer, à habiller, tout juste parce qu’ils n’ont pas de type, et mademoiselle Chèbe était un de ces minois-là.

Quel ravissement pour elle, quand la voiture s’engagea sur la longue avenue, veloutée de vert, bordée d’ormes centenaires, au bout de laquelle Savigny l’attendait, sa grille grande ouverte. À partir de ce jour, elle eut bien l’existence enchantée qu’elle avait rêvée si longtemps. Le luxe lui apparaissait sous toutes ses formes, depuis la magnificence des salons, la hauteur immense des appartements, depuis les richesses de la serre, des écuries, jusqu’à ces menus détails où il semble se condenser comme ces parfums exquis dont une goutte suffit à embaumer toute une chambre, les corbeilles de fleurs étendues sur la nappe, le ton froid des domestiques, le « faites atteler » dolent et ennuyé de madame Fromont…

Et comme elle se sentait à l’aise parmi tous ces raffinements de riches. Comme c’était bien l’existence qui lui convenait. Il lui semblait qu’elle n’en avait jamais eu d’autre. Tout à coup, au milieu de son ivresse, arriva une lettre de Frantz qui la ramenait à la réalité de sa vie, à sa condition misérable de future femme d’employé, la mettait de force dans le petit appartement mesquin qu’ils occuperaient un jour en haut de quelque maison noire dont il lui semblait déjà respirer l’air lourd, épais de misère.

Rompre son mariage ? Certainement elle le pouvait, puisqu’elle n’avait