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s’était un peu plus usé, la petite robe lilas avait subi encore quelques retouches, et c’était tout. Seulement, à mesure que Sidonie grandissait, Frantz, maintenant devenu un jeune homme, avait pour elle des regards silencieux, des attentions d’amour visibles à tout le monde et dont la jeune fille était seule à ne pas s’apercevoir.

Rien ne l’intéressait, du reste, cette petite. Chèbe.

À l’atelier, elle accomplissait sa tâche régulièrement, silencieusement, sans la moindre pensée d’avenir ou d’aisance. Tout ce qu’elle faisait avait l’air d’être en attendant.

Frantz, au contraire, depuis quelque temps, travaillait avec une ardeur singulière, l’élan de ceux qui visent quelque chose au bout de leurs efforts, si bien qu’à vingt-quatre ans il sortait second de l’École centrale avec le grade d’ingénieur.

Ce soir-là Risler avait emmené la famille Chèbe au Gymnase, et, toute la soirée, madame Chèbe et lui s’étaient fait une foule de petits signes, de clignements d’yeux dans le dos des enfants. Ensuite, à la sortie, madame Chèbe avait mis solennellement le bras de Sidonie sous celui de Frantz, de l’air de dire à l’amoureux : « Maintenant, débrouillez-vous… C’est votre affaire… »

Alors le pauvre amoureux essaya de se débrouiller. La route est longue, du Gymnase au Marais. À peine a-t-on fait quelques pas que la splendeur du boulevard est effacée, les trottoirs deviennent de plus en plus sombres, les passants de plus en plus rares. Frantz