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– Allons-nous-en, Risler… On meurt de chaud ici.

Au moment où ils se levaient, car Risler ne tenait pas plus à rester là qu’à partir, l’orchestre, composé d’un piano et de quelques violons commença une ritournelle bizarre. Il se fit dans la salle un mouvement de curiosité. On criait ; « Chut !… Chut !… Assis ! »

Ils furent obligés de reprendre leurs places. D’ailleurs Risler commençait à être troublé.

– Je connais cet air-là, se disait-il. Où l’ai-je entendu ?

Un tonnerre d’applaudissements et une exclamation de Planus lui firent lever les yeux.

– Viens, viens… sortons… disait le caissier, en essayant de l’entraîner dehors.

Mais il était trop tard. Risler avait déjà vu sa femme s’avancer au bord de l’estrade et s’incliner devant le public avec des sourires de danseuse.

Elle était en robe blanche, comme la nuit du bal ; mais il y avait maintenant moins de richesse dans toute sa tenue et un laisser-aller choquant. La robe tenait à peine aux épaules, les cheveux s’envolaient en un brouillard blond au-dessus des yeux, et autour du cou un collier de perles trop grosses pour être vraies s’étageait avec un brio de clinquant. Delobelle avait raison : c’est la vie de bohème qu’il lui fallait. Sa beauté y avait gagné je ne sais quelle expression insouciante qui la caractérisait, en faisait bien le type de la femme échappée, livrée à tous les hasards et descendant