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milieu d’une fête à bord, qu’un choc a ouvert les flancs du navire et qu’il fait eau de toutes parts. On commença à descendre les meubles. Risler regardait faire les déménageurs, d’un air détaché, comme s’il se fût trouvé chez un étranger. Ce luxe dont il était si heureux et si fier autrefois lui inspirait maintenant un insurmontable dégoût. Pourtant, quand il entra dans la chambre de sa femme, il éprouva une vague émotion.

C’était une grande pièce tendue de satin bleu recouvert de dentelle blanche. Un vrai nid de cocotte. Il y traînait des volants de tulle déchirés et froissés, des nœuds, des fleurs fausses. Les bougies de la psyché, en brûlant jusqu’au bout, avaient fait éclater les bobèches ; et le lit, voilé de ses guipures et de ses courtines bleues, ses grands rideaux relevés et tirés, intact dans ce bouleversement, semblait le lit d’une morte, une couche de parade où personne ne dormirait jamais plus.

Le premier mouvement de Risler en entrant là fut un mouvement d’épouvantable colère, l’envie de se jeter sur ces choses, de tout déchirer, de tout hacher, de tout broyer. C’est que rien ne ressemble plus à une femme que sa chambre. Même absente, son image sourit encore dans les miroirs qui l’ont reflétée. Un peu d’elle, de son parfum favori, reste à tout ce qu’elle a touché. Ses attitudes se retrouvent sur les coussins des divans, et l’on suit ses allées et venues de la glace à la toilette parmi les dessins du tapis. Ici, ce qui rappelait surtout Sidonie, c’était une étagère chargée de bibelots enfantins, de chinoiseries insignifiantes et menues, éventails