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Elle parla tout de suite, épancha cette colère qui t’étranglait depuis une heure, et pendant qu’elle racontait la scène de la fabrique en étouffant les éclats de sa voix à cause de la maman Delobelle endormie à côté, le luxe de sa toilette à ce cinquième étage si dénué et si pauvre, l’éclat blanc de sa parure froissée parmi ces piles de chapeaux grossiers ces rognures de paille éparpillées dans la chambre, tout donnait, bien l’impression d’un drame, d’une de ces terribles secousses de la vie où les rangs, les sentiments, les fortunes se trouvent brusquement confondus.

– Oh ! je ne rentrerai plus chez moi. C’est fini… Libre, me voilà libre !

– Mais enfin, demanda le comédien, qui donc a pu te dénoncer à ton mari ?

– C’est Frantz. Je suis sûre que c’est Frantz. De tout autre il ne l’aurait pas cru… Justement hier soir il est arrivé une lettre d’Égypte… Oh ! comme il m’a traitée devant cette femme !… M’obliger de me mettre à genoux… Mais je me vengerai. J’ai heureusement pris de quoi me venger avant de partir.

Et son sourire des anciens jours serpenta au coin de sa lèvre pâle. Le vieux cabotin écoutait tout cela avec beaucoup d’intérêt. Malgré sa compassion pour ce pauvre diable de Risler, pour Sidonie même, qui lui semblait, en style de théâtre, « une belle coupable », il ne pouvait s’empêcher de regarder la chose à un point de vue purement scénique, et finit par s’écrier, emporté par sa manie :