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accueillie sans doute ; mais elle entendait déjà les lamentations de madame Chèbe et les discours en trois points du petit homme. Alors elle pensa à Delobelle ; à son vieux Delobelle. Dans la chute de toutes ses splendeurs, elle se rappela celui qui avait été son premier initiateur à la vie mondaine, qui lui donnait des leçons de danse et de bonne tenue quand elle était petite, riait de ses gentilles façons et lui apprenait à se trouver belle avant que personne le lui eût jamais dit. Quelque chose l’avertissait que ce déclassé lui donnerait raison contre tous les autres. Elle monta dans une des voitures qui stationnaient à la porte et se fit conduire boulevard Beaumarchais chez le comédien.

Depuis quelque temps la maman Delobelle fabriquait des chapeaux de paille pour l’exportation ; métier triste s’il en fut et qui lui rapportait à peine deux francs cinquante en douze heures de travail. Et Delobelle continuait à engraisser à mesure que sa « sainte femme » maigrissait davantage. En ce moment même, il était en train de découvrir une odorante soupe au fromage, conservée chaude dans les cendres du foyer, quand on frappa virement à sa porte. Le comédien qui venait de voir jouer à Beaumarchais je ne sais quel drame sinistre taché de sang jusque sur la réclame illustrée de son affiche, tressaillit à ces coups frappés à une heure aussi indus.

– Qui est là ? demanda-t-il un peu ému.

– C’est moi… Sidonie… Ouvrez vite. Elle entra toute frissonnante, et, rejetant sa sortie de bal, s’approcha du poêle où le feu achevait de mourir.