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chose l’avertissait que tout son malheur datait de cette minute-là. « Ah ! si j’avais su… si j’avais su… » Et elle croyait encore sentir au bout de ses doigts l’enveloppe satinée prête à tomber dans la boîte.

Alors, en songeant à l’enfant, naïve, espérante et heureuse qu’elle était à ce moment, une indignation lui vint, à elle si douce, contre l’injustice de la vie. Elle se demandait : « Pourquoi ? Qu’est-ce que j’ai fait ? »

Puis, tout à coup : « Non ! ce n’est pas vrai. Ce n’est pas possible… On a menti… » Et, tout en continuant sa route vers la gare, la malheureuse cherchait à se convaincre, à se faire une certitude. Mais elle n’y parvenait pas.

La vérité entrevue est comme ces soleils voilés qui fatiguent bien plus les yeux que les rayons les plus ardents. Dans la demi-obscurité qui entourait encore son malheur, la pauvre femme y voyait plus clair qu’elle n’aurait voulu. Maintenant elle comprenait, elle s’expliquait des particularités de l’existence de son mari, ses absences, ses inquiétudes, ses airs embarrassés à certains jours, et parfois, quand il rentrait, cette abondance de détails qu’il lui donnait sur ses courses, mettant des noms en avant comme des preuves qu’elle ne lui demandait pas. De toutes ces conjectures l’évidence de la faute se résumait pour elle. Pourtant elle se refusait encore à y croire et attendait d’être à Paris pour ne plus douter.

Il n’y avait personne à la gare, une petite gare isolée et triste où pas un voyageur ne se montre en hiver.