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pour supporter la lourde charge du devoir multiple. Enfin l’enfant s’était endormie et, en entendant le père pleurer, Claire était accourue.

Oh ! quand il la vit devant lui, si tendre, si émue et si belle, quel immense et tardif remords lui vint. Oui, c’était bien elle la vraie compagne, l’amie. Comment avait-il pu l’abandonner ? Longtemps, longtemps, il pleura sur son épaule sans pouvoir parler. Et c’était heureux qu’il ne parlât pas, car il lui aurait tout dit, tout. Le malheureux avait besoin d’épanchement, une envie irrésistible de s’accuser, de demander pardon, de diminuer le poids de ce remords qui lui écrasait le cœur Elle lui épargna la peine de prononcer une parole :

– Tu as joué, n’est-ce pas ? tu as perdu… et beaucoup ?

Il faisait signe que oui ; puis, quand il put parler, il avoua qu’il lui fallait cent mille francs pour le surlendemain et qu’il ne savait comment se les procurer. Elle ne lui fit pas un reproche. Elle était de celles qui en face d’un malheur ne songent qu’à le réparer sans la moindre récrimination. Même, dans le fond de son cœur, elle bénissait ce désastre qui le rapprochait d’elle et devenait un lien entre leurs deux existences si séparées depuis longtemps. Elle réfléchit un moment. Ensuite, avec l’effort d’une décision qui a coûté beaucoup de mal à prendre :

– Rien n’est encore perdu, dit-elle. J’irai demain à Savigny demander cet argent au grand-père.

Jamais il n’eût osé lui parler de cela. La pensée ne lui en serait même pas venue. Elle était si fière, et le vieux