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Plus qu’un jour avant l’échéance ! Plus qu’un jour pour trouver ces deux cent cinquante francs ! S’il ne les trouvait pas, tout serait vendu chez eux. Vendus ces pauvres meubles, toujours les mêmes depuis le commencement du ménage, insuffisants, incommodes, mais chers par les souvenirs qui se rattachaient à leurs éraillures, à l’usure de certains coins. Vendue la longue table des oiseaux et mouches pour modes, sur le bord de laquelle il avait soupé pendant vingt ans ; vendu le grand fauteuil de Zizi, qu’on ne pouvait pas regarder sans larmes et qui semblait avoir gardé quelque chose de la chérie, de ses gestes, de son attitude, l’affaissement de ses longues journées de rêverie et de travail. La maman Delobelle en mourrait sûrement de voir tous ces chers souvenirs disparaître…

En pensant à cela, le malheureux cabotin que son égoïsme épais ne garantissait pourtant pas toujours des piqûres du remords, se tournait, se retournait dans son lit, poussait de gros soupirs ; et tout le temps il avait devant les yeux la petite figure pâle de Désirée, avec ce regard suppliant et tendre qu’elle tournait anxieusement vers lui au moment de mourir, quand elle lui demandait tout bas de renoncer… de renoncer… À quoi voulait-elle donc que son père renonçât ? Elle était morte sans pouvoir le lui dire ; mais Delobelle avait tout de même un peu compris, et depuis lors, dans cette nature impitoyable, un trouble, un doute étaient entrés, qui se mêlaient cruellement cette nuit-là à ses inquiétudes d’argent…