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pour prendre un élan furieux loin, bien loin des logements au cinquième, des poêles de fonte, des privations, de la misère. D’autres fois, quand elle était contente, ses bestioles vous avaient un air enchanté de vivre, bien l’air crâne et mutin d’un petit caprice de mode…

Heureuse ou malheureuse. Désirée travaillait toujours avec la même ardeur. Depuis l’aube jusque bien avant dans la nuit, la table était chargée d’ouvrage. Au dernier rayon du jour, quand la cloche des fabriques sonnait tout autour dans les cours voisines, madame Delobelle allumait la lampe, et, après un repas plus que léger, on se remettait au travail.

Ces deux femmes infatigables avaient un but, une idée fixe qui les empêchait de sentir le poids des veilles forcées. C’était la gloire dramatique de l’illustre Delobelle.

Depuis qu’il avait quitté les théâtres de province pour venir jouer la comédie à Paris, Delobelle attendait qu’un directeur intelligent, ce directeur idéal et providentiel qui découvre les génies, vînt le chercher pour lui offrir un rôle à sa taille. Peut-être aurait-il pu, surtout au commencement, trouver un emploi médiocre dans un théâtre de troisième ordre, mais Delobelle ne voulait pas se galvauder.

Il aimait mieux attendre, lutter, comme il disait !… Et voici de quelle façon il entendait la lutte.

Le matin dans sa chambre, souvent même dans son lit, il repassait des rôles de son ancien répertoire, et les dames Delobelle frissonnaient en entendant résonner