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– C’est pourtant vrai, pensa le brave homme en se dressant tout droit sur son lit, c’est après-demain la fin du mois… Et j’ai le courage de dormir !…

Il s’agissait, en effet, d’une somme importante ; cent mille francs à payer en deux traites, et dans un moment où pour la première fois depuis trente ans la caisse de la maison Fromont se trouvait absolument désargentée. Comment allait-on faire ? Plusieurs fois Sigismond avait essayé d’en parler à Fromont jeune ; mais celui-ci semblait fuir la lourde responsabilité des affaires, traversait les bureaux, toujours pressé, enfiévré, sans rien voir ni entendre autour de lui. Aux questions inquiètes du caissier, il répondait tout en mordant sa fine moustache :

« C’est bon, c’est bon, mon vieux Planus… Ne vous inquiétez pas… J’aviserai… » Et il avait bien l’air en disant cela de penser à autre chose, d’être à mille lieues de ce qui se passait. Le bruit courait dans la fabrique, où sa liaison avec madame Risler n’était plus un secret pour personne, que Sidonie le trompait, le rendait très malheureux ; et effectivement, les folies de sa maîtresse le préoccupaient bien plus que les inquiétudes de son caissier. Quant à Risler, on ne le voyait jamais ; il passait sa vie enfermé dans les combles à surveiller la mystérieuse et interminable fabrication de ses machines.

Cette indifférence des patrons pour les affaires de la fabrique, ce manque absolu de surveillance avaient amené peu à peu la désorganisation de tout. Ouvriers et employés en prenaient à leur aise, venaient tard à leurs occupations, s’esquivaient de bonne heure, sans