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L’illustre Delobelle n’était jamais là. Il n’avait rien changé à son existence de cabotin sans emploi. Pourtant il savait que sa fille se mourait ; le médecin l’avait prévenu. Ç’avait même été pour lui une terrible commotion, car au fond il aimait bien son enfant ; mais, dans cette étrange nature, les sentiments les plus vrais, les plus sincères prenaient une allure fausse et peu naturelle, par cette loi qui veut que, quand une tablette est de travers, rien de ce qu’on met dessus n’ait jamais l’air posé droit.

Delobelle tenait avant tout à promener, à répandre sa douleur. Il jouait les pères malheureux, d’un bout à l’autre du boulevard. On le rencontrait aux abords des théâtres, dans les cafés des comédiens, les yeux rougis, la face pâle. Il aimait à se faire demander : « Eh bien ! mon pauvre vieux, comment ça va-t-il chez toi ? » Alors il secouait la tête d’un mouvement nerveux ; sa grimace retenait des larmes, sa bouche des imprécations, et il poignardait le ciel d’un regard muet et plein de colère, comme quand il jouait le Médecin des enfants ; ce qui ne l’empêchait pas du reste d’être rempli d’attentions délicates et de prévenances pour sa fille.

Ainsi il avait pris l’habitude, depuis qu’elle était malade, de lui apporter des fleurs de ses courses dans Paris ; et il ne se contentait pas de fleurs ordinaires, de ces humbles violettes qui fleurissent à tous les coins de rues pour les petites bourses. Il lui fallait, en ces tristes jours d’automne, des roses, des œillets, surtout du lilas blanc, ces lilas fleuris en serre, dont les fleurs, la tige et les feuilles sont du même blanc verdâtre, comme