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elle ne pense plus à Frantz, elle ne se sent plus digne d’aimer ni d’être aimée. Il y a désormais une tache dans sa vie si pure, et voilà précisé de quoi elle meurt.

Chacune des péripéties de l’horrible drame est une souillure à sa pensée : sa sortie de l’eau devant tous ces hommes, son sommeil lassé dans le poste, les chansons ignobles qu’elle y a entendues, la folle qui se chauffait devant le poêle, tout ce qu’elle a frôlé de vicieux, de malsain, de navrant dans l’escalier du commissariat, et puis le mépris de certains regards, l’effronterie des autres, les plaisanteries de son sauveur, les galanteries de l’agent de police, toute sa réserve de femme à jamais détruite, son nom qu’il a fallu donner, jusqu’à la gêne de son infirmité qui l’a poursuivie dans toutes les phases de son long martyre comme une ironie, une aggravation de ridicule à son suicide par amour…

Elle meurt de honte, je vous dis. Dans le délire de ses nuits, c’est cela qu’elle répète sans cesse : « J’ai honte !… J’ai honte !… » et aux moments de calme, elle s’enfonce dans ses couvertures, les ramène sur son visage, comme pour se cacher ou s’ensevelir.

Tout près du lit de Désirée, dans le jour de la fenêtre, la maman Delobelle travaille en gardant sa fille. De temps en temps elle lève les yeux pour épier ce désespoir muet, cette maladie inexplicable, puis elle reprend son ouvrage bien vite ; car c’est une des plus grandes douleurs du pauvre de ne pouvoir souffrir à son aise. Il faut travailler sans cesse, et même quand la mort erre tout autour, songer aux exigences pressantes, aux difficultés de la vie.