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sien, la tristesse vide de cette pièce, les hurlements de deux ivrognes enfermés qui tapaient à la porte du fond avec des jurons épouvantables, la petite boiteuse écoutait et regardait tout cela, vaguement, sans comprendre.

Près d’elle, une femme en haillons, les cheveux sur les épaules, se tenait accroupie devant la bouche du poêle, dont le reflet rouge ne parvenait pas à colorer un visage hagard et blême. C’était une folle recueillie dans la nuit, une pauvre créature qui remuait machinalement la tête et ne cessait de répéter d’une voix sans conscience, presque indépendante du mouvement des lèvres : « Oh ! oui, de la misère, on peut le dire… Oh ! oui, de la misère, on peut le dire… » Et cette plainte sinistre au milieu des ronflements des dormeurs faisait à Désirée un mal horrible. Elle fermait les yeux pour ne plus voir ce visage égaré qui l’épouvantait comme la personnification de son propre désespoir. De temps en temps, la porte de la rue s’entr’ouvrait, la voix d’un chef appelait des noms, et deux sergents de ville sortaient, pendant que deux autres rentraient, se jetaient en travers des lits, éreintés comme des matelots de quart qui viennent de passer la nuit sur le pont.

Enfin le jour parut dans ce grand frisson blanc si cruel aux malades. Réveillée subitement de sa torpeur, Désirée se dressa sur son lit, rejeta le caban dont on l’avait enveloppée, et, malgré la fatigue et la fièvre, essaya de se mettre debout pour reprendre possession d’elle-même et de sa volonté. Elle n’avait plus qu’une idée, échapper à tous ces yeux qui s’ouvraient autour