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– C’est une femme qui vient de se fiche à l’eau.

Eh bien, non. La rivière n’a pas voulu de cette enfant. Elle a eu pitié de tant de douceur et de grâce. Voici que dans la lumière des lanternes qui s’agitent en bas sur la berge un groupe noir se forme, se met en marche. Elle est sauvée !… C’est un tireur de sable qui l’a repêchée. Des sergents de ville la portent, entourés de mariniers, de débardeurs, et dans la nuit on entend une grosse voix enrouée qui ricane : « En voilà une poule d’eau qui m’a donné du mal. C’est qu’elle me glissait dans les doigts, fallait voir !… Je crois bien qu’elle aurait voulu me faire perdre ma prime… » Peu à peu le tumulte se calme, les curieux se dispersent, et pendant que le groupe noir s’éloigne vers un poste de police, les marchandes de fleurs reprennent leur somme, et sur le quai désert les reines-marguerites frémissent au vent de nuit.

Ah ! pauvre fille, tu croyais que c’était facile de s’en aller de la vie, de disparaître tout à coup. Tu ne savais pas qu’au lieu de t’emporter vite au néant que tu cherchais, la rivière te rejetterait à toutes les hontes, à toutes les souillures des suicides manqués. D’abord le poste, le poste hideux avec ses bancs salis, son plancher où la poussière mouillée semble de la boue des rues. C’est là que Désirée dut finir sa nuit. On l’avait couchée sur un lit de camp devant le poêle, charitablement bourré à son intention, et dont la chaleur malsaine faisait fumer ses vêtements lourds et ruisselants d’eau. Où était-elle ? Elle ne s’en rendait pas bien compte. Ces hommes couchés tout autour dans des lits pareils au