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Alors, lui, tout ému, la prendrait, la serrerait, l’emporterait dans ses bras, disant :

– Oh ! non, ne meurs pas. J’ai besoin de toi pour me consoler, pour me guérir de tout le mal que l’autre m’a fait.

Mais c’est là un rêve de poète, une de ces rencontres comme la vie n’en sait pas inventer. Elle est bien trop cruelle, la dure vie ! et quand, pour sauver une existence, il faudrait quelquefois si peu de chose, elle se garde bien de fournir ce peu de chose-là. Voilà pourquoi les romans vrais sont toujours si tristes…

Des rues, encore des rues, puis une place, et un pont dont les réverbères tracent dans l’eau noire un autre pont lumineux. Enfin voici la rivière. Le brouillard de ce soir d’automne humide et doux lui fait voir tout ce Paris inconnu pour elle dans une grandeur confuse que son ignorance des lieux augmente encore. C’est bien ici qu’il faut mourir.

Elle se sent si petite, si isolée, si perdue dans l’immensité de cette grande ville allumée et déserte. Il lui semble déjà qu’elle est morte. Elle s’approche du quai ; et, tout à coup, un parfum de fleurs, de feuillages, de terre remuée l’arrête une minute au passage. À ses pieds, sur le trottoir qui borde l’eau, des masses d’arbustes entourés de paille, des pots de fleurs dans leurs cornets de papier blanc sont déjà rangés pour le marché du lendemain. Enveloppées de leurs châles, les pieds sur leurs chaufferettes, les marchandes s’appuient à leurs chaises, engourdies par le sommeil et par la fraîcheur de la nuit. Les reines-marguerites de toutes