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Les yeux sur son ouvrage, Fillette a répondu qu’elle veillerait. Elle veut finir sa douzaine.

– Bonsoir alors, dit la maman Delobelle dont la vue affaiblie ne peut plus supporter longtemps la lumière. J’ai mis le souper du père près du feu. Tu y regarderas avant de te coucher.

Désirée n’a pas menti. Elle veut terminer sa douzaine, pour que le père puisse l’emporter demain matin ; et vraiment, à voir cette petite tête calme penchée sous la lumière blanche de la lampe, on ne se figurerait jamais tout ce qu’elle roule de pensées sinistres.

Enfin voici le dernier oiseau de la douzaine, un merveilleux petit oiseau dont les ailes semblent trempées d’eau de mer, avec un reflet de saphir. Soigneusement, coquettement, Désirée le pique sur un fil de laiton, dans sa jolie attitude de bête effarouchée qui s’envole. Oh ! comme il s’envole bien, le petit oiseau bleu. Quel coup d’aile éperdu dans l’espace. Comme on sent que cette fois c’est le grand voyage, le voyage éternel et sans retour…

Maintenant l’ouvrage est fini, la table rangée, les dernières aiguillées de soie minutieusement ramassées, les épingles sur la pelote.

Le père, en rentrant, trouvera sous la lampe à demi baissée le souper devant la cendre chaude ; et ce soir effrayant et sinistre lui apparaîtra calme comme tous les autres, dans l’ordre du logis et la stricte observance de ses manies habituelles. Bien doucement Désirée