Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/249

Cette page n’a pas encore été corrigée

mort qu’elle allait choisir. N’étant presque jamais seule, elle ne pouvait pas songer au réchaud de charbon qu’on allume après avoir bouché les portes et les fenêtres. Ne sortant jamais, elle ne pouvait pas songer non plus au poison qu’on achète chez l’herboriste, un petit paquet de poudre blanche qu’on fourre dans sa poche tout au fond avec l’étui et le dé. Il y avait bien aussi le soufre des allumettes, le vert-de-gris des vieux sous, la fenêtre grande ouverte sur le pavé de la rue ; mais la pensée qu’elle donnerait à ses parents le spectacle horrible d’une agonie volontaire, que ce qui resterait d’elle, ramassé au milieu d’un attroupement de peuple, leur serait si affreux à voir, lui fit repousser ce moyen-là.

Elle avait encore la rivière. Au moins l’eau vous emporte quelquefois si loin, que personne ne vous retrouve et que la mort est entourée de mystère.

La rivière ! Elle frissonnait tout en y songeant. Et ce n’était pas la vision de l’eau noire et profonde qui l’effrayait. Les filles de Paris se moquent bien de cela. On jette son tablier sur sa tête pour ne pas voir, et pouf ! Mais il faudrait descendre, s’en aller dans la rue toute seule, et la rue l’intimidait.

Or, pendant que d’avance la pauvre fille prenait cet élan suprême vers la mort et l’oubli, qu’elle regardait l’abîme de loin avec des yeux hagards où la folie du suicide montait déjà, l’illustre Delobelle se ranimait peu à peu, parlait moins dramatiquement, puis, comme il y avait à dîner des choux qu’il aimait beaucoup, il s’attendrissait