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à l’École Centrale, à l’heure où les deux femmes allumaient leur lampe pour commencer la journée. Jamais elle n’avait interrogé ces longs silences où la jeunesse confiante et heureuse s’enferme à double tour avec ses rêves d’avenir, et si parfois elle disait à Désirée, dont le mutisme la fatiguait : « Qu’est-ce que tu as ? » la jeune fille n’avait qu’à répondre : « Je n’ai rien », pour que la pensée de la mère, distraite une minute, se reportât tout de suite à sa préoccupation favorite.

Ainsi, cette femme qui lisait dans le cœur de son mari, le moindre pli de ce front olympien et nul, n’avait jamais eu pour sa pauvre Zizi aucune de ces divinations de tendresse dans lesquelles les mères les plus âgées, les plus flétries, se rajeunissent jusqu’à une amitié d’enfant pour devenir confidentes et conseillères.

Et c’est bien là ce que l’égoïsme inconscient des hommes comme Delobelle a de plus féroce. Il en fait naître d’autres autour de lui. L’habitude qu’on a dans certaines familles de tout rapporter à un seul être, laisse forcément dans l’ombre les joies et les douleurs qui lui sont indifférentes et inutiles.

Et je vous demande en quoi le drame juvénile et douloureux qui gonflait de larmes le cœur de la pauvre amoureuse pouvait intéresser la gloire du grand comédien ? Pourtant elle souffrait bien. Depuis près d’un mois, depuis le jour où Sidonie était venue chercher Frantz dans son coupé, Désirée savait