Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/241

Cette page n’a pas encore été corrigée

Pendant un grand quart d’heure, Frantz, assis dans un coin du salon, vit défiler devant lui, dans leur ordre habituel, tous les plats convenus d’un dîner bourgeois, depuis les petits pâtés chauds, la sole normande et les innombrables ingrédients dont elle se compose, jusqu’aux pêches de Montreuil et au chasselas de Fontainebleau. Elle ne lui fit pas grâce d’un entremets.

Enfin, quand ils furent seuls et qu’il put parler :

– Vous n’avez donc pas reçu ma lettre ?… demanda-t-il d’une voix sourde.

– Mais si, parfaitement.

Elle s’était levée pour rajuster devant la glace quelques petits frisons mêlés à ses rubans flottants, et continua tout en se regardant :

– Mais si, je l’ai reçue, votre lettre. J’ai été même enchantée de la recevoir… Maintenant, si l’envie vous prenait de faire à votre frère les vilains rapports dont vous m’aviez menacée, je lui prouverais facilement que le dépit d’un amour criminel, repoussé par moi comme il convenait, a été la seule cause de ces délations mensongères. Tenez-vous pour averti, mon cher… et à revoir.

Heureuse comme une actrice qui vient de finir une tirade à grand effet, elle passa devant lui et sortit du salon en souriant, le coin de la bouche relevé, triomphante et sans colère.

Et il ne la tua pas !