Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/227

Cette page n’a pas encore été corrigée

lutte singulière où celui qui aimait véritablement combattait contre sa propre cause, elle s’était sentie souvent à bout de forces et presque découragée. Lorsqu’elle le croyait le plus dompté, sa droiture se révoltait tout à coup, et il était tout prêt à s’enfuir, à lui échapper encore. Aussi quel triomphe pour elle, quand cette lettre lui fut remise un matin. Justement madame Dobson était là. Elle venait d’arriver, chargée des plaintes de Georges qui s’ennuyait loin de sa maîtresse et commençait à s’inquiéter de ce beau-frère plus assidu, plus jaloux, plus exigeant qu’un mari.

– Ah ! le pauvre cher, le pauvre cher, disait la sentimentale Américaine, si tu voyais comme il est malheureux.

Et, tout en secouant ses frisures, elle dénouait son rouleau de musique, en tirait des lettres du pauvre cher qu’elle cachait soigneusement entre les feuilles de ses romances, heureuse de se trouver mêlée à cette histoire d’amour, de s’exalter dans une atmosphère d’intrigue et de mystère qui attendrissait ses yeux froids et son teint de blonde sèche.

Le plus étrange, c’est que tout en se prêtant très volontiers à ce va-et-vient de lettres d’amour, cette jeune et jolie Dobson n’en avait jamais écrit ni reçu une seule pour son compte. Toujours en route entre Asnières et Paris, un message amoureux sous son aile, ce singulier pigeon voyageur restait fidèle à son pigeonnier et ne roucoulait que pour le bon motif.