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tête des chevaux. Sur leur passage, on se retournait. Tous les regards les suivaient, comme entraînés dans le vent de leur course.

Sidonie ressemblait à ces créatures. Elle aurait pu elle-même conduire ainsi la voiture de Georges ; car Frantz était dans la voiture de Georges. Il avait bu le vin de Georges. Tout ce luxe, dont on jouissait en famille, venait de Georges. C’était honteux, révoltant. Il aurait voulu le crier à son frère, il le devait même, étant venu exprès pour cela. Mais il ne s’en sentait plus le courage. Ah ! le malheureux justicier… Le soir, après dîner, dans le salon ouvert à l’air frais de la rivière, Risler pria sa femme de chanter. Il voulait qu’elle montrât à Frantz tous ses nouveaux talents. Appuyée au piano, Sidonie se défendait d’un air triste, pendant que madame Dobson préludait en agitant ses longues anglaises. « Mais je ne sais rien. Que voulez-vous que je vous chante ? »

Elle finit pourtant par se décider. Pâle, désenchantée, envolée au-dessus des choses, à la lueur tremblante des bougies qui semblaient brûler des parfums, tellement les lilas et les jacinthes du jardin embaumaient, elle commença une chanson créole très populaire à la Louisiane et que madame Dobson elle-même avait transcrite pour chant et piano :

Pauv’ pitit mam’zelle Zizi,
C’est l’amou, l’amou qui tourne la tête à li.