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– Ah ça, maman Delobelle, vous ne me reconnaissez donc pas ?

– Oh ! moi, monsieur Frantz, je vous ai reconnu tout de suite, dit Désirée bien tranquillement, d’un ton froid et posé.

– Miséricorde ! c’est monsieur Frantz.

Vite, vite, la maman Delobelle court à la lampe, allume, ferme la croisée.

– Comment ! c’est vous, mon ami Frantz… De quel air tranquille elle dit ça, cette petite… je vous ai bien reconnu… Ah ! le petit glaçon… Elle sera toujours la même.

Un vrai petit glaçon en effet. Elle est pâle, pâle : et dans la main de Frantz, sa main est toute blanche, toute froide.

Il la trouve embellie, encore plus affinée.

Elle le trouve superbe comme toujours, avec une expression de lassitude et de tristesse au fond des yeux, qui le rend plus homme qu’au départ.

Sa lassitude vient de ce voyage précipité, entrepris au reçu de la terrible lettre de Sigismond. Aiguillonné par ce mot de déshonneur, il est parti sur-le-champ sans attendre son congé, risquant sa fortune et sa place, et de paquebots en chemins de fer, il ne s’est arrêté qu’à Paris. Il y a de quoi être las, surtout quand on a voyagé avec la hâte d’arriver, et que la pensée impatiente s’est agitée tout le temps, faisant dix fois le chemin dans des doutes, des terreurs, des perplexités continuelles.

Sa tristesse date de plus loin. Elle date du jour où