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Avec sa parfaite ignorance des femmes et l’habitude qu’il avait de traiter Sidonie comme une enfant, Risler continua du même ton :

– Prends modèle sur elle, vois-tu, petite… Il n’y en a pas deux au monde comme madame Chorche… C’est tout le cœur de son pauvre père… Une vraie Fromont !…

Sidonie, les yeux baissés, s'inclinait sans rien répondre, avec un frisson imperceptible qui courait du bout de sa bottine de satin au dernier brin d’oranger de sa couronne. Mais le brave Risler ne voyait rien. L’émotion, le bal, la musique, toutes ces fleurs, toutes ces lumières… Il était ivre, il était fou. Cette atmosphère de bonheur incomparable qui l’entourait, il croyait que tous les autres la respiraient comme lui. Il ne sentait pas les rivalités, les petites haines qui se croisaient au-dessus de tous ces fronts parés.

Il ne voyait pas Delobelle accoudé à la cheminée, las de son attitude éternelle, une main dans le gilet, le chapeau sur la hanche, pendant que les heures s’écoulaient sans que personne songeât à utiliser ses talents. Il ne voyait pas M. Chèbe, qui se morfondait sombrement entre deux portes, plus furieux que jamais contre les Fromont… Oh ! ces Fromont !… Quelle place ils tenaient à cette noce… Ils étaient là tous avec leurs femmes, leurs enfants, leurs amis, les amis de leurs amis… On aurait dit le mariage de l’un d’eux… Qui parlait des Risler ou des Chèbe ?… On ne l’avait pas même présenté, lui, le père !… Et ce qui redoublait la fureur du petit homme, c’était l’attitude de madame