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En parlant de lui, elle disait toujours : « Monsieur Planus, mon frère ! » et lui avec la même solennité affectueuse mettait des « Mademoiselle Planus, ma sœur ! » au milieu de toutes ses phrases. Pour ces deux êtres timides et naïfs, Paris, qu’ils ignoraient tout en le traversant journellement, était un repaire de monstres de deux espèces, occupés à se faire le plus de mal possible, et lorsqu’un drame conjugal, quelque bavardage de quartier arrivait jusqu’à eux, chacun, poursuivi de son idée, accusait un coupable différent.

– C’est la faute du mari, disait « mademoiselle Planus, ma sœur ».

– C’est la faute de la femme, répondait « M Planus, mon frère ».

– Oh ! les hommes…

– Oh ! les femmes.

Et c’était là leur éternel sujet de discussion, à ces heures rares de flânerie que le vieux Sigismond se réservait dans sa journée si remplie et réglée bien droit comme ses livres de caisse. Depuis quelque temps surtout le frère et la sœur apportaient dans leurs débats une animation extraordinaire. Ce qui se passait à la fabrique les préoccupait beaucoup. La sœur s’apitoyait sur madame Fromont jeune et trouvait la conduite de son mari tout à fait indigne ; quant à Sigismond, il n’avait pas de mots assez amers contre la drôlesse inconnue qui envoyait faire payer à la caisse des cachemires de six mille francs. Pour lui, il y allait de la gloire et de l’honneur de cette vieille maison qu’il servait depuis sa jeunesse.