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avec bonté. Elle savait tout ce qu’on disait de Sidonie dans la fabrique ; et bien qu’elle n’en crût que la moitié, la vue de ce pauvre homme, que sa femme abandonnait si souvent, lui serrait le cœur. Une pitié réciproque faisait le fond de ces relations tranquilles, et rien n’était plus touchant que ces deux délaissés se plaignant mutuellement et essayant de se distraire.

Assis à cette petite table bien éclairée au milieu du salon, Risler se sentait peu à peu pénétré par la chaleur du foyer, l’harmonie des choses environnantes. Il retrouvait là des meubles qu’il connaissait depuis vingt ans, le portrait de son ancien patron, et sa chère madame « Chorche », penchée près de lui sur quelques mignons ouvrages de couture, lui paraissait plus jeune et plus aimable encore parmi tous ces vieux souvenirs. De temps en temps elle se levait pour aller voir l’enfant endormi dans la pièce à côté et dont le souffle léger s’entendait aux intervalles de silence. Sans s’en rendre bien compte, Risler se trouvait mieux, plus chaudement que chez lui, car certains jours son joli appartement, qui s’ouvrait à toute heure pour des départs ou des retours précipités, lui faisait l’effet d’une halle sans portes ni fenêtres, livrée aux quatre vents. Chez lui, on campait ; ici on demeurait. Une main soigneuse disposait partout l’ordre et l’élégance. Les chaises en cercle avaient l’air de causer entre elles à voix basse, le feu brûlait avec un bruit charmant, et le petit bonnet de mademoiselle Fromont avait gardé dans tous ses nœuds de rubans bleus des sourires doux et des regards d’enfant.