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Alors tout le monde se leva et on passa dans le grand salon. Pendant que les invités du bal arrivaient en foule se mêler aux invités du dîner, que l’orchestre s’accordait, que les valseurs à lorgnon faisaient la roue devant les toilettes blanches des petites demoiselles impatientes, le marié, intimidé par tout ce monde, s’était réfugié avec son ami Planus – Sigismond Planus, caissier de la maison Fromont depuis trente ans – dans cette petite galerie ornée de fleurs, tapissée d’un papier de bosquet à feuillage grimpant qui fait comme un fond de verdure aux salons dorés de Véfour. Là du moins ils étaient seuls, ils pouvaient causer.

– Sigismond, mon vieux… je suis content.

Et Sigismond aussi était content ; mais Risler ne lui laissait pas le temps de le dire. Maintenant qu’il n’avait plus peur de pleurer devant le monde, toute la joie de son cœur débordait.

– Pense donc, mon ami !… C’est si extraordinaire qu’une jeune fille comme elle ait bien voulu de moi. Car enfin, je ne suis pas beau. Je n’avais pas besoin que cette effrontée de ce matin me le dise pour le savoir. Puis j’ai quarante-deux ans… Elle qui est si mignonne !… Il y en avait tant d’autres qu’elle pouvait choisir, des plus jeunes, des plus huppés, sans parler de mon pauvre Frantz, qui l’aimait tant. Eh bien ! non, c’est son vieux Risler qu’elle a voulu… Et cela s’est fait si drôlement… Depuis longtemps je la voyais triste, toute changée. Je pensais bien qu’il y avait quelque chagrin d’amour là-dessous… Avec la mère, nous cherchions,