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n’avoir été qu’une préparation de leur rencontre. Et, faut-il le dire, une fois la faute commise, ils n’eurent que l’étonnement d’avoir tant tardé… Georges Fromont surtout était pris d’une passion folle. Il trompait sa femme, sa meilleure amie ; il trompait Risler, son associé, le compagnon fidèle de tous les instants.

C’était une abondance, un renouvellement perpétuel de remords où son amour s’avivait de l’immensité de sa faute. Sidonie devint sa pensée constante, et il s’aperçut que jusqu’alors il n’avait pas vécu. Quant à elle, son amour était fait de vanités et de colères. Ce qu’elle savourait par-dessus tout, c’était l’humiliation de Claire à ses yeux. Ah ! si elle avait pu lui dire : « Ton mari m’aime… il te trompe avec moi… » son plaisir eût été encore plus grand. Pour Risler, il avait selon elle bien mérité ce qui lui arrivait. Dans son ancien jargon d’apprentie, qu’elle pensait encore si elle ne le parlait plus, le pauvre homme n’était qu’un « vieux » qu’elle avait pris pour la fortune. C’est fait pour être trompé. « un vieux ! »

Le jour, Savigny était à Claire, à l’enfant qui grandissait, courait sur le sable, riait aux oiseaux et aux nuages. La mère et l’enfant avaient pour elles la lumière, les allées pleines de soleil. Mais les nuits bleues étaient à l’adultère, à cette faute librement installée qui parlait bas, marchait sans bruit sous les persiennes fermées, et devant laquelle la maison assoupie se faisait muette, aveugle, retrouvait son impassibilité de pierre, comme si elle avait eu honte de voir et d’entendre.