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Madame Risler triomphait. Élégante, oisive, elle s’en allait au galop des chevaux, inconsciente de la course rapide, sans penser.

Le vent frais qui soufflait sous son voile la faisait seulement vivre. Vaguement, entre ses cils à demi-fermés, une auberge aperçue à un tournant de route, des enfants mal habillés, à pied sur l’herbe près des ornières, lui rappelaient ses anciennes promenades du dimanche en compagnie de Risler et de ses parents, et le petit frisson, qui la prenait à ce souvenir, l’installait mieux dans sa fraîche toilette mollement drapée, dans le bercement doux de la calèche, où sa pensée se rendormait heureuse et rassurée.

À la gare, d’autres voitures attendaient. On la regardait beaucoup. Deux ou trois fois elle entendit chuchoter tout près d’elle : « C’est madame Fromont jeune… » et le fait est qu’on pouvait s’y tromper à les voir revenir ainsi tous les trois du chemin de fer. Sidonie dans le fond à côté de Georges, riant et causant avec lui, Risler en face d’eux souriant paisiblement, un peu gêné par cette belle voiture, ses larges mains posées à plat sur les genoux. Cette idée qu’on la prenait pour madame Fromont la rendait très fière, et chaque jour elle s’y habituait un peu plus. À l’arrivée, les deux ménages se séparaient jusqu’au dîner ; mais, à côté de sa femme tranquillement installée près de la fillette endormie, Georges Fromont, trop jeune pour être enveloppé de l’intimité de son bonheur, pensait toujours à cette brillante Sidonie dont on entendait la voix sonner en roulades triomphantes sous les charmilles du jardin.