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mort d’ennui à Montrouge… La rue du Mail, du Sentier, le train et l’activité des quartiers de commerce, voilà ce qu’il lui fallait.

– Oui, mais un magasin ?… Pourquoi faire ?… hasardait Risler timidement.

« Pourquoi faire un magasin ? Pourquoi faire un magasin ? » répétait M. Chèbe, rouge comme un œuf de Pâques et montant sa voix jusqu’au plus haut degré de son registre… « Parce que je suis un commerçant, monsieur Risler. Commerçant, fils de commerçant… Oh ! je vous vois venir. Je n’ai pas de commerce… Mais à qui la faute ?… Si les personnes qui m’ont enfermé à Montrouge, aux portes de Bicêtre, comme un gâteux, avaient eu le bon esprit de me fournir les fonds d’une entreprise… » Ici Risler parvint à lui imposer silence, et l’on n’entendit plus que des bribes de conversation : « … magasin plus commode… haut de plafond… respire mieux… projets d’avenir… affaire gigantesque… parlerai quand il sera temps… Bien des gens seront étonnés. » Tout en saisissant ces bouts de phrases, Delobelle s’absorbait de plus en plus dans ses devis, faisait le dos énergique de l’homme qui n’écoute pas. Risler, embarrassé, buvait de temps en temps une gorgée de bière pour se donner une contenance. À la fin, quand M. Chèbe se fut calmé, et pour cause, son gendre se tourna en souriant vers l’illustre Delobelle, dont il rencontra le sévère regard impassible qui semblait dire : « Eh bien ! et moi ?… »

« Ah ! mon Dieu, c’est vrai – » pensa le pauvre homme.