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tenait des colloques très animés dans des coins ; et déjà deux auteurs râpés lui avaient lu un drame en sept tableaux qui lui « allait comme un gant » pour sa pièce d’ouverture. Il disait « mon théâtre ! » et on lui adressait des lettres : « À M. Delobelle, directeur ».

Quand il eut composé son prospectus, fait ses devis il alla trouver Risler à la fabrique. Celui-ci, très occupé, lui donna rendez-vous rue Blondel ; et le soir même Delobelle, arrivé le premier à la brasserie, s’installait à leur ancienne table, demandait une canette et deux verres, et attendait. Il attendit longtemps, l’œil sur la porte, frémissant d’impatience. Risler n’arrivait pas. Chaque fois que quelqu’un entrait, le comédien se retournait. Il avait mis ses papiers sur la table et les relisait avec des gestes, des mouvements de tête et des lèvres.

L’affaire était unique, splendide. Déjà il se voyait jouant, car c’était là le point essentiel, jouant sur un théâtre à lui des rôles faits exprès pour lui, à sa taille, où il aurait tous les effets…

Tout à coup la porte s’ouvrit, et, dans la fumée des pipes, M. Chèbe parut. Il fut aussi surpris et vexé de voir Delobelle là que Delobelle l’était lui-même… Il avait écrit à son gendre le matin qu’il désirait l’entretenir très sérieusement et qu’il l’attendrait à la brasserie. C’était pour une affaire d’honneur, tout à fait entre eux, d’homme à homme. Le vrai de cette affaire d’honneur, c’est que M. Chèbe avait donné congé de la petite maison de Montrouge, et loué rue du Mail, en plein quartier du commerce, un magasin avec entresol… Un