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lui pinçant le menton et les joues, rôdant autour d’elle avec des cris : « Hou ! hou ! » ou bien la regardant de ses gros yeux attendris comme un chien affectueux et reconnaissant. Cet amour bêta qui faisait d’elle un joujou, une porcelaine d’étagère, la rendait honteuse. Quant à ses parents, ils la gênaient pour le monde qu’elle voulait voir, et sitôt après son mariage, elle s’en était à peu près débarrassée en leur louant une maisonnette à Montrouge. Cela avait coupé court aux invasions fréquentes de M. Chèbe en longue redingote, et aux visites interminables de la bonne madame Chèbe, chez qui le bien-être revenu ranimait d’anciennes habitudes de commérage et de vie oisive.

Du même coup, Sidonie aurait bien voulu éloigner aussi les Delobelle, dont le voisinage lui pesait. Mais le Marais était un centre pour le vieux comédien, à cause de la proximité des théâtres du boulevard : puis Désirée tenait, comme tous les sédentaires, à l’horizon connu, et sa cour triste, assombrie l’hiver dès quatre heures, lui semblait une amie, un visage de connaissance que le soleil éclairait quelquefois comme un sourire à son adresse. Sidonie, ne pouvant pas se débarrasser d’eux, avait pris le parti de ne plus les voir. En somme, sa vie eût été solitaire et assez triste sans quelques distractions que Claire Fromont lui procurait. Chaque fois c’était une colère. Elle pensait :

« Tout me viendra donc par elle. »

Et lorsque, au moment de dîner, on lui envoyait de l’étage au-dessous un numéro de loge ou une invitation pour le soir, tout en s’habillant, ravie de se montrer,