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les plus candides, l’ignorance profonde du mal s’éclaire de visions subites d’une étonnante lucidité.

De temps en temps, à la suite d’une causerie un peu longue, d’une de ces rencontres imprévues où les visages pris au dépourvu laissent bien voir leurs pensées vraies, madame Fromont réfléchissait sérieusement à cette singulière petite Sidonie, mais la vie était là, active, pressante, avec son enveloppement d’affections, de préoccupations, et ne lui donnait pas le temps de s’arrêter à ces minuties.

Il arrive, en effet, un âge pour les femmes où l’existence a des tournants de route si subits que tous les horizons changent, tous les points de vue se transforment.

Jeune fille, cette amitié qui s’en allait d’elle pièce à pièce, comme déchirée par une main mauvaise, l’eût beaucoup attristée. Mais elle avait perdu son père, la plus grande, l’unique affection de sa jeunesse ; puis elle s’était mariée. L’enfant était venu avec ses adorables exigences de toutes les minutes. En outre, elle gardait près d’elle sa mère presque en enfance, abêtie encore par la mort tragique de son mari. Dans une vie si occupée, les caprices de Sidonie tenaient peu de place ; et c’est à peine si Claire Fromont avait songé à s’étonner de son mariage avec Risler. Évidemment, il était trop âgé pour elle ; mais, après tout, puisqu’ils s’aimaient.

Quant à se vexer que la petite Chèbe fût arrivée à cette haute position, devenue presque son égale, sa nature très supérieure était incapable de pareilles petitesses. Elle eût désiré de tout cœur, au contraire, voir