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C’est alors que parut le fameux Paradoxe sur les pendules. À cette occasion, les Schwanthaler donnèrent une grande soirée, non plus une de leurs soirées académiques d’autrefois, sobres de lumières et de bruit, mais un magnifique bal travesti, où Mme  de Schwanthaler et ses filles parurent en canotières de Bougival, les bras nus, la jupe courte, et le petit chapeau plat à rubans éclatants. Toute la ville en parla, mais ce n’était que le commencement. La comédie, les tableaux vivants, les soupers, le baccara : voilà ce que Munich scandalisé vit défiler tout un hiver dans le salon de l’académicien. « De la gaieté, mes enfants, de la gaieté !… » répétait le pauvre bonhomme de plus en plus affolé, et tout ce monde-là était très gai en effet. Mme  de Schwanthaler, mise en goût par ses succès de canotière, passait sa vie sur l’Isar en costumes extravagants. Ces demoiselles, restées seules au logis, prenaient des leçons de français avec des officiers de hussards prisonniers dans la ville ; et la petite pendule, qui avait toutes raisons de se croire encore à Bougival, jetait les heures à la volée, en sonnant toujours huit heures quand elle en marquait trois… Puis, un matin, ce tourbillon de gaieté folle emporta la famille Schwanthaler en Amérique, et les plus beaux Titien de la Pinacothèque suivirent dans sa fuite leur illustre conservateur.