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alla sitôt après vider une couple de chopes à la Ville de Strasbourg.

Maintenant la vieille Lory est seule. Après avoir couché ses trois petits blondins qu’on entend gazouiller dans la chambre à côté, comme un nid qui s’endort, elle prend son ouvrage et se met à repriser devant la porte, du côté des jardins. De temps en temps elle soupire et pense en elle-même :

« Oui, je veux bien. Ce sont des lâches, des renégats… mais c’est égal ! Leurs mères sont bien heureuses de les ravoir. »

Elle se rappelle le temps où le sien, avant de partir pour l’armée, était là, à cette même heure du jour, en train de soigner le petit jardin. Elle regarde le puits où il venait remplir ses arrosoirs, en blouse, les cheveux longs, ses beaux cheveux qu’on lui a coupés en entrant aux zouaves…

Soudain elle tressaille. La petite porte du fond, celle qui donne sur les champs, s’est ouverte. Les chiens n’ont pas aboyé ; pourtant celui qui vient d’entrer longe les murs comme un voleur, se glisse entre les ruches…

« Bonjour, maman ! »

Son Christian est debout devant elle, tout débraillé dans son uniforme, honteux, troublé, la langue épaisse. Le misérable est revenu au pays avec les autres, et, depuis une heure, il