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vait dans cette invasion imaginaire. Il avait conquis l’Allemagne tant de fois sous le Premier Empire ! Il savait tous les coups d’avance : « Maintenant voilà où ils vont aller… Voilà ce qu’on va faire… » ; et ses prévisions se réalisaient toujours, ce qui ne manquait pas de le rendre très fier.

« Malheureusement nous avions beau prendre des villes, gagner des batailles, nous n’allions jamais assez vite pour lui. Il était insatiable, ce vieux ! Chaque jour, en arrivant, j’apprenais un nouveau fait d’armes :

« — Docteur, nous avons pris Mayence, me disait la jeune fille en venant au-devant de moi avec un sourire navré, et j’entendais à travers la porte une voix joyeuse qui me criait :

« — Ça marche ! ça marche !… Dans huit jours nous entrerons à Berlin.

« À ce moment-là, les Prussiens n’étaient plus qu’à huit jours de Paris… Nous nous demandâmes d’abord s’il ne valait pas mieux le transporter en province ; mais, sitôt dehors, l’état de la France lui aurait tout appris, et je le trouvais encore trop faible, trop engourdi de sa grande secousse, pour lui laisser connaître la vérité. On se décida donc à rester.

« Le premier jour de l’investissement, je montai chez eux — je me souviens — très