Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/55

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Elle aime mieux déjeuner là-bas, avec son fils. Et pour régaler un peu le pauvre mobile, vite, vite, on empile dans le cabas le ban et l’arrière-ban des provisions de siège : chocolat, confitures, vin cacheté, tout jusqu’à la boîte, une boîte de huit francs qu’on gardait précieusement pour les jours de grande disette. Là-dessus, les voilà partis. Comme ils arrivaient aux remparts, on venait d’ouvrir les portes. Il a fallu montrer le permis. C’est la mère qui avait peur… Mais non ! Il paraît qu’on était en règle.

« Laissez passer ! » dit l’adjudant de service.

Alors seulement elle respire.

« Il a été bien poli, cet officier. »

Et, leste comme un perdreau, elle trotte, elle se dépêche. L’homme a peine à lui tenir pied.

« Comme tu vas vite, chérie ! »

Mais elle ne l’écoute pas. Là-haut, dans les vapeurs de l’horizon, le Mont-Valérien lui fait signe :

« Arrivez vite… il est ici. »

Et maintenant qu’ils sont arrivés, c’est une nouvelle angoisse.

Si on ne le trouvait pas ! S’il allait ne pas venir !…

Soudain, je la vis tressaillir, frapper sur le bras du vieux et se redresser d’un bond… De loin, sous la voûte de la poterne, elle avait reconnu son pas.