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aux flancs des mules et geignent doucement comme des agneaux malades, des matelots halant une pièce neuve au son du fifre et des « hissa ! ho ! » le troupeau du fort qu’un berger en pantalon rouge pousse devant lui, la gaule à la main, le chassepot en bandoulière ; tout cela va, vient, s’entre-croise dans les cours, s’engouffre sous la poterne comme sous la porte basse d’un caravansérail d’Orient.

« Pourvu qu’ils n’oublient pas mon garçon ! » disaient pendant ce temps les yeux de la pauvre mère ; et toutes les cinq minutes elle se levait, s’approchait de l’entrée discrètement, jetait un regard furtif dans l’avant-cour, en se garant contre la muraille ; mais elle n’osait plus rien demander de peur de rendre son enfant ridicule. L’homme, encore plus timide qu’elle, ne bougeait pas de son coin ; et chaque fois qu’elle revenait s’asseoir, le cœur gros, l’air découragé, on voyait qu’il la grondait de son impatience et qu’il lui donnait force explications sur les nécessités du service avec des gestes d’imbécile qui veut faire l’entendu.

J’ai toujours été très curieux de ces petites scènes silencieuses et intimes qu’on devine encore plus qu’on ne les voit, de ces pantomimes de la rue qui vous coudoient quand vous marchez et d’un geste vous révèlent toute une existence ; mais ici, ce qui me captivait