Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/51

Cette page a été validée par deux contributeurs.

il me montrait les deux vénérables silhouettes qui venaient de faire leur apparition sur le plateau du mont Valérien.

Un beau Daumier, en effet. L’homme en longue redingote marron, avec un collet de velours verdâtre qui semblait fait de vieille mousse des bois, maigre, petit, rougeaud, le front déprimé, les yeux ronds, le nez en bec de chouette. Une tête d’oiseau ridée, solennelle et bête. Pour l’achever, un cabas en tapisserie à fleurs, d’où sortait le goulot d’une bouteille, et sous l’autre bras une boîte de conserves, l’éternelle boîte en fer blanc que les Parisiens ne pourront plus voir sans penser à leurs cinq mois de blocus… De la femme, on n’apercevait d’abord qu’un chapeau cabriolet gigantesque et un vieux châle qui la serrait étroitement du haut en bas comme pour bien dessiner sa misère ; puis, de temps en temps, entre les ruches fanées de la capote, un bout de nez pointu qui passait, et quelques cheveux grisonnants et pauvres.

En arrivant sur le plateau, l’homme s’arrêta pour prendre haleine et s’essuyer le front. Il ne fait pourtant pas chaud là-haut, dans les brumes de fin novembre ; mais ils étaient venus si vite…

La femme ne s’arrêta pas, elle. Marchant droit à la poterne, elle nous regarda une mi-