Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/43

Cette page a été validée par deux contributeurs.

dégeler du biscuit au bout de leurs baïonnettes. On leur donna la goutte, un peu de café. Pendant qu’ils buvaient, un officier vint sur la porte, appela le sergent, lui parla tout bas et s’en alla bien vite.

« Garçons ! dit le sergent en rentrant, radieux… y aura du tabac, cette nuit… On a surpris le mot des Prussiens… Je crois que cette fois nous allons le leur reprendre, ce sacré Bourget ! »

Il y eut une explosion de bravos et de rires. On dansait, on chantait, on astiquait les sabres-baïonnettes ; et, profitant de ce tumulte, les enfants disparurent.

Passé la tranchée, il n’y avait plus que la plaine, et au fond un long mur blanc troué de meurtrières. C’est vers ce mur qu’ils se dirigèrent, s’arrêtant à chaque pas pour faire semblant de ramasser des pommes de terre.

« Rentrons… N’y allons pas », disait tout le temps le petit Stenne.

L’autre levait les épaules et avançait toujours. Soudain ils entendirent le tic tac d’un fusil qu’on armait.

« Couche-toi ! » fit le grand, en se jetant par terre.

Une fois couché, il siffla. Un autre sifflet répondit sur la neige. Ils s’avancèrent en rampant… Devant le mur, au ras du sol, parurent deux moustaches jaunes sous un béret cras-