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sernes, des barricades désertes, garnies de chiffons mouillés, de longues cheminées qui trouaient le brouillard et montaient dans le ciel, vides, ébréchées. De loin en loin, une sentinelle, des officiers encapuchonnés qui regardaient là-bas avec des lorgnettes, et de petites tentes trempées de neige fondue devant des feux qui mouraient. Le grand connaissait le chemin, prenait à travers champs pour éviter les postes. Pourtant ils arrivèrent, sans pouvoir y échapper, à une grand’garde de francs-tireurs. Les francs-tireurs étaient là avec leurs petits cabans, accroupis au fond d’une fosse pleine d’eau, tout le long du chemin de fer de Soissons. Cette fois, le grand eut beau recommencer son histoire, on ne voulut pas les laisser passer. Alors, pendant qu’il se lamentait, de la maison du garde-barrière sortit sur la voie un vieux sergent, tout blanc, tout ridé, qui ressemblait au père Stenne :

« Allons ! mioches, ne pleurons plus ! dit-il aux enfants, on vous y laissera aller, à vos pommes de terre ; mais avant, entrez vous chauffer un peu… Il a l’air gelé, ce gamin-là ! »

Hélas ! Ce n’était pas de froid qu’il tremblait le petit Stenne, c’était de peur, c’était de honte… Dans le poste, ils trouvèrent quelques soldats blottis autour d’un feu maigre, un vrai feu de veuve, à la flamme duquel ils faisaient