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indigné ; et du coup, il resta trois jours sans retourner à la partie. Trois jours terribles. Il ne mangeait plus, il ne dormait plus. La nuit, il voyait des tas de galoches dressées au pied de son lit, et des pièces de cent sous qui filaient à plat, toutes luisantes. La tentation était trop forte. Le quatrième jour, il retourna au Château-d’Eau, revit le grand, se laissa séduire…

Ils partirent par un matin de neige, un sac de toile sur l’épaule, des journaux cachés sous leurs blouses. Quand ils arrivèrent à la porte de Flandre, il faisait à peine jour. Le grand prit Stenne par la main, et s’approchant du factionnaire — un brave sédentaire qui avait le nez rouge et l’air bon — il lui dit d’une voix de pauvre :

« Laissez-nous passer, mon bon monsieur… Notre mère est malade, papa est mort. Nous allons voir avec mon petit frère à ramasser des pommes de terre dans le champ. »

Il pleurait. Stenne, tout honteux, baissait la tête. Le factionnaire les regarda un moment, jeta un coup d’œil sur la route déserte et blanche.

« Passez vite », leur dit-il en s’écartant ; et les voilà sur le chemin d’Aubervilliers. C’est le grand qui riait !

Confusément, comme dans un rêve, le petit Stenne voyait des usines transformées en ca-