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voilà l’hiver ! Le vent siffle, les poêles ronflent. Dans leur grande cage en treillis doré, les colibris ne gazouillent plus. Leurs petites ailes bleues, roses, rubis, vert de mer, restent immobiles, et c’est pitié de les voir se serrer les uns contre les autres, engourdis et bouffis par le froid, avec leurs becs fins et leurs yeux en tête d’épingle. Là-bas, au fond du parc, le hamac grelotte plein de givre, et les branches des sapins sont en verre filé… La petite créole a froid ; elle ne veut plus sortir.

Pelotonnée au coin du feu comme un de ses oiseaux, elle passe son temps à regarder la flamme et se fait du soleil avec ses souvenirs. Dans la grande cheminée lumineuse et brûlante, elle revoit tout son pays : les larges quais pleins de soleil avec le sucre brun des cannes qui ruisselle, et les grains de maïs flottant dans une poussière dorée, puis les siestes d’après-midi, les stores clairs, les nattes de paille, puis les soirs d’étoiles, les mouches enflammées, et des millions de petites ailes qui bourdonnent entre les fleurs et dans les mailles de tulle des moustiquaires.

Et tandis qu’elle rêve ainsi devant la flamme, les jours d’hiver se succèdent toujours plus courts, toujours plus noirs. Tous les matins on ramasse un colibri mort dans la cage ; bientôt il n’en reste plus que deux, deux flocons de