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seur embusqué. D’un côté un grand gaillard à favoris noirs qui faisait sonner toute une ferraille à chacun de ses mouvements : couteau de chasse, cartouchière, boîte à poudre, sans compter de hautes guêtres bouclées jusqu’aux genoux et qui le grandissaient encore ; à l’autre bout un petit vieux, appuyé contre un arbre, fumait tranquillement sa pipe, en clignant des yeux comme s’il voulait dormir. Celui-là ne me faisait pas peur ; mais c’était ce grand là-bas…

« Tu n’y entends rien, Rouget », me dit mon camarade en riant. Et sans crainte, les ailes toutes grandes, il s’envola presque dans les jambes du terrible chasseur à favoris.

Et le fait est que le pauvre homme était si empêtré dans tout son attirail de chasse, si occupé à s’admirer du haut en bas, que lorsqu’il épaula son fusil nous étions déjà hors de portée. Ah ! si les chasseurs savaient, quand ils se croient seuls à un coin de bois, combien de petits yeux fixes les guettent des buissons, combien de petits becs pointus se retiennent de rire à leur maladresse !…

Nous allions, nous allions toujours. N’ayant rien de mieux à faire qu’à suivre mon vieux compagnon, mes ailes battaient au vent des siennes pour se replier immobiles aussitôt qu’il se posait. J’ai encore dans les yeux tous les endroits où nous avons passé : la garenne rose