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de la vague comme pendant la moisson de terre, le silence plane, un silence actif, plein de l’effort d’un peuple en face de la nature avare et rebelle. Un appel aux bœufs, un « trrr » aigu qui sonne dans les grottes, voilà tout ce que l’on entend. Il semble qu’on traverse une communauté de trappistes, un de ces couvents où l’on travaille en plein air avec une loi de silence perpétuel. Les conducteurs ne se retournent pas même pour vous regarder passer, et les bœufs seuls vous fixent d’un gros œil immobile. Pourtant ce peuple n’est pas triste et, le dimanche venu, il sait bien s’égayer et danser les vieilles rondes bretonnes. Le soir, vers huit heures, on se réunit au bord du quai, devant l’église et le cimetière. Ce mot de cimetière a quelque chose d’effrayant ; mais l’endroit, si vous le voyiez, ne vous effraierait pas. Pas de buis, ni d’ifs, ni de marbres ; rien de convenu ni de solennel. Seulement des croix dressées où les mêmes noms se répètent plusieurs fois comme dans tous les petits pays dont les habitants sont alliés ; l’herbe haute partout pareille, et des murs si bas, que les enfants y grimpent dans leurs jeux et que, les jours d’enterrement, on voit du dehors l’assistance agenouillée.

Au pied de ces petits murs, les vieux viennent s’asseoir au soleil pour filer ou dormir entre