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fendu à la main, faisait signe aux rameurs : « Piano… piano… » et tout à coup, entre les pointes de sa fourche, tenait suspendue une belle langouste qui allongeait ses pattes avec un effroi encore plein de sommeil. Près de moi, un autre marin laissait tomber sa ligne à fleur d’eau dans le sillage et ramenait des petits poissons merveilleux qui se coloraient, en mourant, de mille nuances vives et changeantes. Une agonie vue à travers un prisme.

La pêche finie, on aborda parmi les hautes roches grises. Le feu fut vite allumé, pâle dans le grand soleil ; de larges tranches de pain coupées sur de petites assiettes de terre rouge, et l’on était là autour de la marmite, l’assiette tendue, la narine ouverte… Était-ce le paysage, la lumière, cet horizon de ciel et d’eau ? Mais je n’ai jamais rien mangé de meilleur que cette bouillabaisse de langoustes. Et quelle bonne sieste ensuite sur le sable ! un sommeil tout plein du bercement de la mer, où les mille écailles luisantes des petites vagues papillotaient encore aux yeux fermés.